" En croisade pour un devoir pieux de mémoire,

le pèlerinage d'un artiste chevauchant une ligne de fuite céleste ".

 

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Intuition des Essences

OU

ESSAI CRITIQUE SUR LA CREATION ARTISTIQUE

A R C H E

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L’ O F F R A N D E

 

 

RENTREE D’AUTOMNE

 

Oh combien coquette de nos jours cette ville d’Alès aux portes des Cévennes , s’accroche aux flancs de cette Provence méridionale , toute embaumée des parfums de garrigue sauvage , clairsemée de vignobles épars. Jadis le présage sombre d’une austère politique religieuse la tenait altière et retranchée dans la fortitude des contreforts de l’Aubrac et de la Lozère.

C’est là même que Myriam et Joseph , couple charmant et citoyens de ces lieux ouvrent leur galerie l’ Arche ; une exposition en effet est consacrée ce week-end à un artiste exotique aux multiples talents. Joseph Zobel est cet antillais d'origine , plus connu pour un livre récompensé par un prix , celui sélectionné par Mille lecteurs en 195O , dans cette gazette éditée sous l'égide et à l'instigation des éditions Julliard . Lauréat dans la primeur d'un choix nouveau , celui d'une cooptation élective venant supplanter le Goncourt de la Francophonie . Le film qui par ailleurs paracheva son succès d'auteur flasha quelque temps l'actualité française c'était souvenez-vous Rue case nègre qui eut tant d'échos retentissants . De fait , cette Saga de descendants d'esclaves enchanta le public cinéphile . La presse elle-même y consacra de larges colonnes , attisant ainsi l'ardeur déjà accrue des lecteurs. Notre artiste est de plus polyvalent : écrivain , poète, son recueil d' "Amour et de silence" nous donne là le point d'orgue d'une sensibilité sublime , éprouvée de même dans cette oeuvre où nous nous attacherons plus particulièrement ici. Il s'agira nous le verrons d'une sculpture originale. Il peint en outre des aquarelles . Ce jour-là il exposait donc des sculptures . Aussi , Myriam accorte Amphytrion , diserte à souhait , volubile et avenante , nous convia pour le bonheur de cette circonstance à un petit régal autour d'un menu buffet ; papelardises gourmandes à satiété , agrémentées de rafraîchissements , égosillèrent à l'envi les visiteurs accourus nombreux et curieux pour la circonstance , ce soir là . Joseph son époux , digne et serein - comme il sied à un apothicaire qui s'est retiré des officines pour se consacrer entièrement à sa Galerie - pour l'évènement de cette réception , prônait chaleureusement le talent et l'art de l'artiste , qui à l'instant surgi de la proche campagne suburbaine , s'ébattait déjà ravi dans l'assistance , plutôt conquis par cet accueil enthousiaste . Le Sieur Zobel qui présentait lors de nombreuses sculptures , œuvres pleines de majesté , plus étonnantes les unes que les autres . Installé dans notre région depuis peu , cet honorable Inspecteur d' Académie y goûte sous notre doux climat méridional , une retraite émérite . Pour ma part , j'avais cosigné une première impression sur le cahier en mémoire de l’artiste , appréciation figurant en exergue , au début de cette communication.

 

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C’est ainsi que ce jour là , In Situ en tant que simples spectateurs dans cette profonde galerie qui s'ouvre sur une oeuvre exotique , le regard , mi-médusé , mi-perplexe, nous fûmes comme enrôlés , et convoyés dans la magie de ce flux vital , ce courant impétueux de l'inspiration de l'artiste . Face à cette singulière production, ensemble épars et baroque de fers rapportés , qui comme sous le charme d'un éclairage tamisé , transcendent et transfigurent leur destination usuelle ou pratique . Affrontés là , de plain-pied face à tant de singularité, nous vivons nous aussi dans cet instant éphémère , les phénomènes psychiques comme appartenant à la trame de notre conscience interpellée par l'étrangeté de l'apparition . Penchons-nous donc un peu sur les vécus en oeuvre , dans cette logique subjective , et ainsi, imaginons les modes de conscience où se donnent les actes corrélatifs aux objectités idéales configurées dans cette surprenante facticité baptisée l’ " Offrande " qui , telle une gracieuse dévolution s’offre au regard attendri du public . Immergeons enfin notre esprit dans cette approche rationnelle de l'ouvrage. C'est ainsi que mon parcours fut longtemps dérouté et comme suspendu dans ses allées et venues par cette bien énigmatique curiosité . En effet dans un angle , se hissant sur son socle , tel un échalas planté là , un corps longiligne se dresse dans un coin , presque efflanqué , comme s'affichant et se donnant à découvrir , sous l'aspect étrange d'un crucifix ; le postérieur, tel un cul pincé par un anneau , semblant lui interdire tout geste superflu , privé même de cette liberté , ne fut-ce que celle d'une pause innocente , dans l'envie apaisante du moindre soupir alangui . Une chaîne enserrant étroitement sa taille, l'esclave est comme statufié et immobile dans l'effort ; tout enfin paraît l'astreindre à l'affligeante servitude, le forçant et l’entravant , l'obligeant ainsi dans sa plus futile énergie , entièrement vouée de fait à se consacrer au bien-être , et tout à la dévotion de ses tortionnaires . Je rappelle la note émouvante comme contrite de la dédicace , celle de cette touchante ferveur : l'incipit , épigraphe épinglée " Offrande " recèle dans sa majesté comme le triste aveu d'une complainte , d'une misère assumée dans ces temps presque révolus de ces mélopées incantatoires, un peu à l'image de ce gospel concélébré dans l'ardeur des chapelles , dans ces choeurs mêmes des églises , de nos jours encore. Tel aussi un oblat divin , un pardon plein de miséricorde qui semble laver du pêché même , l'impie tortionnaire dans les accents éprouvants de ce témoignage d'une abominable souffrance ; s'adresse en quelque sorte ainsi , au genre humain tout entier , dans cette poignante confrontation des regards , Urbi et Orbi cette prière dans la cantilène d'une sainte communion; s'insérent de plus dans ce décor dantesque , des signes symboliques trés cocasses et bavards , comme ce sourd murmure d'hétéroclites ferrures diverses, tels que clefs, fers à cheval , outils et autres panoplies artisanales marqués du sceau de la dure condition des esclaves . Dans ces lieux sacralisés de la mémoire originaire, celle qui de ces enceintes bien trop encloses dans ces fermes qui détenaient ces esclaves, jadis, à l'état carcéral . Toute l'oeuvre de Joseph Zobel s'affiche à vrai dire dans cet horizon du sens marqué par le rude labeur de ferronnerie , dans l’âpreté d'un sévère climat rural . Cette silhouette s'affichant comme immolée et pétrifiée , est le témoignage incarné de ces temps de conquête sauvage , en cette ère d'une folle agitation , qui bien qu'espoir héroïque pour certains , n'en révélait que plus cruellement la sinistre désolation contrite pour tout un peuple déraciné . La sombre mémoire de ces hauts lieux de civilisation occidentale qui affleure dans la majesté de cette digne inspiration chez notre artiste , est toute entièrement dévolue à ses souvenirs sédimentés , cette espèce d'archéologie enkystée d'un savoir ancestral . Ce schiste des réminiscences d'un atavisme commémorant au coeur de ce sanctuaire ouvragé , cette effigie d'esclave, icône d'une affliction d'outrages endurés, et ce , malgré tout miraculeusement semble t'il sublimée avec les âges du temps révolu ( Offrande en est là comme le testament olographe qui paraît en témoigner ). Ainsi donc nous accueillerons dans cette oeuvre , où toute donation dans ce sens véhiculé , transfigure ce que nous appellerons le Noème , cette intelligence du signe apparent, ce vécu intemporel de la pensée, inaliénable désormais , et comme suspendue dans les nimbes d'une conscience inassouvie , car à dire vrai , qu’aucun outrage du temps , rien, n'épargne ... à jamais . Ce qui procède ici même d'un acte propre ou intention de le signifier chez l'artiste, les actes d'idéation nous donnant accès au sens . " Dans ce mouvement infini de la raison latente , vers la raison évidente " - cette citation enluminée de sa prestance que nous enseigne Hegel dans sa sagesse. C'est ainsi , je l'avoue pour ma part que nous sommes très touchés de compassion affrontés à cette ébauche d'un corps en crucifixion, dans le vis-à-vis de cette face lunaire expressive dans son inanité , cloquée naïvement de deux yeux , dans ce sombre regard exorbité , tout chargé d'un lourd présage , celui assurément hélas bien mortifère , de l'asservissement . L'ensemble s'inscrivant dans cette globalité du sens est comme projeté dans cette pulsion atavique , ces accents prononcés d'un art brut fétichiste trahissant l'africanité ancestrale , ce patrimoine des origines lointaines . Dans le caractère de ces propositions énoncées , je pense traduire sincèrement , le climat de symbiose dans lequel l'artiste est appréhendé dans son inspiration , dans ces relations mutuelles intersubjectives qui confiantes se déclarent solidaires entre l'artiste , ce voyageur et son ombre , et ces voyeurs improvisés que nous sommes.

 

Voyons d'abord le mot essence qui , avant toute chose, a désigné ce qui dans l'être le plus intime d'un individu se présente comme son Quid , un peu de cette substance même de notre sensibilité proprioceptive, celle d'une subjectivité originaire . Le ton de cette Essence pour l'appréhender serait un peu l'image de ces sens portés que nous retrouverions dans cette empreinte attentive d'une écoute musicale qui nous transporterait dans de labiles humeurs nostalgiques . Pour illustrer ce propos je citerais à l'exemple , l'occurrence par exemple d'un profond requiem , qui tout chargé de sens intime pour nous , porterait en notes graves l'écho et la sonorité d'une polyphonie gnostique à notre entendement . Or il est avéré que ce " Quid " dont il est ici question, peut toujours effectivement " être posé en idée " . Dans cette propension bien naturelle où l'on s'empresse , avec plus ou moins de bonheur et vivacité , plus ou moins de lucidité , à saisir sous l'effet de cette actualité par idéogénèse convaincante , l'évidence d'une impression . Ce qui permet à la conscience soulagée parce qu'édifiée , une mise à jour , dévoilant par-là même de façon tangible et systématique l'intentionnalité constituante , l'explicitation de soi-même , en quelque sorte , dans cette épaisseur d'existence insoupçonnée dans l " être là " le " Da sein " - dont parlait Heidegger - dans ce moment où je m'apparais à moi-même ou l" ego " se transfigure dans sa réalité fondamentale .

 

Voyons du côté de l'intuition à présent : Lorsqu'elle a de surcroît le caractère empirique, c'est à dire qu'elle s'échafaude sur des percepts tangibles , parfois même sous l'effet de contingences subreptices , sa transcendance peut être convertie en cette " vision de l'essence " le terme de cette vision , dans sa rétroprojection pathique , celle d'une création expurgée chez Joseph Zobel , donne alors la bouffée de cette essence pure dans ses multiples aspects eidétiques ( sous la visée de ce regard de l'esprit ), dans ses reflets sensitifs , dans ce que Platon nommait analogon , dans le sein de ce substrat , sur lequel tel un vecteur porteur ce télos parachève indéfiniment le processus de sa concrétisation - ce qui nous donne-là , les caractères de la validation de l' Idée telle que l'entend Kant , celle visant toujours la finalité de l'être , aboutissant et parachevant son permanent devenir .

 

J'ouvre ici un aparté , pour illustrer la réflexion qui aussitôt suit : Pour ce qui est d'une autre création , celle entrevue dans la discrétion d'un entretien fortuit , où je fus comme témoin pris sur le ton d'une confidence.

A cette occasion m'est apparu ce jour-là , un objet insolite se présentant sous les aspects , comme dans l'attrait d'une précieuse relique , une espèce de Talisman , - dirons-nous pour la commodité du propos - ceci était porté comme pendentif , c'est ainsi donc lors de cette rencontre imprévue que je pus contempler béat d'interrogation ce grigri qui paraissait fasciner son concepteur . L'objet était pendu en sautoir dissimulé autour de son cou , chez cet autre artiste à tout crin . Ainsi me confessa t'il la voix chargée d'émotion , combien les symboles de la création divine se trouvaient enchâssés ici et là dans cette relique flamboyante , rehaussée d'un rubis figurant une goutte du sang du Christ-Sauveur. Il insistait affirmant convaincu que c'était comme sous l'injonction d'un pressentiment impératif qu'il avait forgé de ses propres doigts cet objet fétiche , avec les soins précautionneux , et dans la minutie insigne d'occultes pantomimes et parades religieuses , tant il paraissait consumé de ce mal des ardents. Ce bijou, il le tenait , me précisa t'il , jalousement sous sa jaquette , à l'abri des regards si objecteurs par nature car profanateurs de coutume et si indiscrets ; me témoignant par là , sa confiance dans l'intime privilège qu'il m'octroyait en cette opportune circonstance .

 

Répercutons un bref commentaire qu'en fait Husserl , à ce sujet d'ailleurs en conclusion nous redirons les caractères qui définissent une telle impression toute subjective , toujours d'après les réflexions de ce philosophe dont la perspicacité éclaire ces quelques lignes induites par la démonstration incidente de cette belle exposition d' Alès .

 

C'est ainsi qu'Husserl stigmatise : la spécification propre de certaines catégories d'essence implique que lorsque les essences de cet ordre sont données sous le signe d'unilatérales et trop exclusives croyances , de spéculations plus ou moins spécieuses , que cette abstraction , en fait , dans ce processus analytique , persiste aussi loin que progresse le flux continu des intuitions , entraînant ainsi le sujet contemplatif , béat de confusion , dans l'infini de l'expérience mystique . Je souligne que ce discours peut fatalement, chez certains , refléter l'abysse et le vertige des Mots et des Maux . Car il y a toute une errance de la logique formelle à la logique transcendantale ! nous proclame Husserl .

 

Voyons à présent ce qu'il en est de l'Acte de création . Dans une troisième phase cette vision elle-même adéquate de façon sélective et correspondante a le caractère d'un acte donateur . L'objectité , la création chez notre artiste qui s'exhibe ostensiblement pour dévoiler sa propre intentionnalité , saisie de facto dans cette empreinte du temps . Il n'y a pas à vrai dire entre l' eidos (cette vue intropathique , cette visée de l'esprit) et le donné de l'objet individuel une simple analogie , mais une communauté radicale . L'intuition des essences elle aussi est une intuition et l'objet eidétique lui aussi est un objet . C'est là-même la généralisation des concepts solidaires et corrélatifs d'intuition et d'objet. Car loin d'être une idée arbitraire , cette donation est impérativement exigée par la nature inéluctable des choses. c'est ici même , ce qui constitue pour l'être un véritable pôle d'identité , dans cette explicitation du moi-même , cet affranchissement de ses Je ( Jeux ) .

Car dans les fondements de la Philosophie Universelle et donc rigoureuse , telle que l'aborde Husserl , père de la Phénoménologie : c'est bien à partir de moi que l'autre se constitue ; il m'est présentifié sur le mode de L"Etre" qui n'est pas donné soi-même , dans son intentionnalité propre , mais comme sous les esquisses - reflets virtuels qui nous hantent dirons nous, ceux qui cohabitent au sein même de notre être propre –

Je tiens à rapporter pour conclure positivement l'exergue de Husserl , auquel je faisais allusion . Ce contrepoint important qui souligne avec vigueur en effet l'aspect très rationaliste de l' Etre qui est confiné à ses spéculations dans ses déboires de - cogitationes - sur ce propos où il s'arraisonne lui-même. Il spécifie de juste , ce qui est très édifiant et nous rassure quand même : " si l'on poursuit ces genres de connexions dans ces manifestes conjectures spéculatives sur l'entendement , on saisit " avec évidence " les essences conceptuelles qui appartiennent à ces expériences et leur sont désormais solidement attachées , s'enchaînant de cesse et s'édifiant presque obscurément , aveuglément . Ainsi on peut " éliminer définitivement et radicalement toutes les pensées en partie mystiques " qui adhèrent de façon très souvent opiniâtres , surtout aux concepts de l' " eidos " ( d'Idée ) ou d' Essence .

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M O M O

 

Cette réflexion est conduite dans la mouvance

édifiante des spéculations de la Phénoménologie de

Husserl - dans les traductions suivantes :

1°/ - Logique Formelle et Logique

Transcendantale - trad. de S. BACHELARD - Ed. Gallimard

5O .

2°/ - Méditations Cartésiennes - trad. G.

Peiffer et E. Levinas - Ed. J. Vrin 47 .

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